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 branches du droit que sont le Droit civil et le Droit des entreprises en difficulté (2.2).
2.1 - Les motifs de résiliation prévus par le Code rural
Le statut du bail rural étant d’ordre pu- blic, le législateur a organisé de façon restrictive les motifs de résiliation du bail à l’initiative du preneur1. Ces motifs sont exclusivement les suivants :
• L’incapacité au travail grave et dont la durée est supérieure à deux ans du pre- neur ou de l’un des membres de sa fa- mille indispensable à « la ferme » (terme employé par le Code Rural et de la Pêche Maritime) ;
• Le décès d’un ou de plusieurs membres de la famille du preneur indispensables au travail de la ferme ;
• L’acquisition d’une ferme qu’il doit ex- ploiter lui-même ;
• Le refus d’autorisation d’exploiter op- posé par l’autorité administrative (le Pré- fet) obligeant le preneur à mettre la struc- ture de son exploitation en conformité avec les dispositions du schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Dans tous ces cas, si la fin de l’année culturale est postérieure de neuf mois au moins à l’événement qui cause la ré- siliation, celle-ci peut, au choix du loca- taire, prendre effet soit à la fin de l’année culturale en cours, soit à la fin de l’année culturale suivante. Dans le cas contraire, la résiliation ne prendra effet qu’à la fin de l’année culturale suivante.
En outre, le preneur qui atteint l’âge de la retraite retenue en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles peut, par dérogation aux dispositions imposant à neuf ans la durée du bail rural, résilier le bail à la fin de l’une de ces périodes an- nuelles suivant la date à laquelle il aura atteint l’âge requis.
Dans ce cas, le preneur doit notifier sa décision (lettre RAR ou acte d’huissier) au bailleur au moins douze mois à l’avance.
Dès lors, tout autre motif et notamment économique ou financier, avéré ou immi- nent, ne pourra être reçu par le bailleur ou par le juge si d’aventure le preneur souhaitait voir trancher ce sujet par la voie judiciaire.
Or, la difficulté que nous percevons est celle du preneur qui veut justement rési- lier le bail pour des raisons économiques, mais qui se trouve confronté à un bailleur
qui n’a pas, de son côté, la solution de re- pli, consistant soit à exploiter lui-même (peu probable), soit à trouver un nouveau preneur dans les mêmes conditions finan- cières et qualitatives, les autres opéra- teurs ayant une forte propension à réduire également la « voilure ».
La question est alors de savoir si, dans cette circonstance précise, le preneur peut obtenir la résiliation de son bail en prenant appui sur des techniques juridiques qui ne relèvent pas de la législation rurale propre- ment dite.
2.2 - La résiliation pour difficultés économiques
Tout d’abord, on doit se demander si le preneur peut arguer de difficultés écono- miques inédites nécessitant une révision du bail qui, si elle n’est pas acceptée par le bailleur, entraînerait sa résiliation.
La technique dite de l’imprévision a en effet été introduite en Droit civil à l’occa- sion d’une vaste réforme du droit des obli- gations intervenue en 2016. L’article 1195 du Code civil dispose ainsi que :
« Si un changement de circonstances im- prévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son co- contractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégo- ciation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux condi- tions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Le recours à l’imprévision risque toute- fois d’être assez rare en pratique : d’une part, elle ne concerne pas les baux conclus avant le 1er octobre 2016 ou ceux qui, conclus après cette date, ont expressé- ment prévu de l’exclure ; d’autre part, il est a priori impossible de la faire jouer toutes les fois qu’il s’agit de réviser le montant du fermage à des conditions déjà régies par le Code rural, et qui ne prévoient justement pas la résiliation du bail en cas d’échec de la révision du fermage.
Ensuite, si le preneur est confronté à des difficultés économiques qui ont justifié
l’ouverture d’une procédure collective, le Droit des entreprises en difficulté permet-il d’obtenir la résiliation d’un bail devenu trop lourd à porter, en passant outre le refus du bailleur ?
Même si elle est rarement mise en œuvre à l’initiative d’un preneur, cette pos- sibilité existe.
Que le preneur fasse l’objet d’une procé- dure de sauvegarde ou de redressement judiciaire2, il peut en effet imposer à son bailleur la résiliation d’un bail, sous la ré- serve d’obtenir un avis favorable du man- dataire judiciaire : pour l’obtenir, le preneur devra démontrer au mandataire judiciaire que la résiliation de tel bail contribuera à rééquilibrer la situation économique de son exploitation.
Une fois cet avis conforme obtenu et la résiliation notifiée au bailleur, il restera alors à solder les comptes entre les par- ties, le bailleur pouvant solliciter une in- demnité pour rupture anticipée, et le pre- neur une créance pour améliorations.
En dehors de cette hypothèse, qui ne peut intervenir que si préalablement le preneur a sollicité l’ouverture d’une pro- cédure collective, il apparaît donc que la résiliation d’un bail rural pour motif écono- mique aboutira difficilement si le bailleur s’y oppose.
Devrait-on penser les choses différem- ment ? Plusieurs pistes de réflexion pour- raient être ouvertes : envisager une évolu- tion législative pour intégrer les difficultés économiques et financières avérées par- mi les motifs de résiliation du bail à l’ini- tiative du preneur ou réflexion de terrain à avoir entre les partenaires (bailleurs et preneurs) et les acteurs institutionnels.
> Alexandre BIENVENU et Philippe QUERON Avocats au barreau de Bordeaux Membres de l’Association girondine des juristes du droit de la vigne et du vin
* Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises du ministère de l’Agriculture (instructions du 25/10/22 relative à l’Aide à l’audit global de l’exploitation agricole et du 27/10/22 relative à l’Aide à la relance de l’exploitation agricole)
1. À l’exception de son décès (personne physique) qui n’est pas de son fait à de très rares exceptions, on en conviendra, entraînant la dévolution du bail à des conditions qui n’ont pas à être étudiées ici.
2. Il n’est pas faire référence à la liquidation judiciaire, mais il va de soi que la résiliation interviendra puisqu’une liquidation suppose la cessation de l’activité.
Juridique
15 CONNEXION - VINS DE BERGERAC ET DURAS - MARS 2023


































































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